Comment est née l’association
?
« Les Trois Ourses
» existe depuis 1988, fondée par trois bibliothècaires qui élaboraient des
projets pour "se donner de l’air". Nous bâtissions des chateaux de cartes à la
manière des enfants, le temps d’une soirée, flanquant tout par terre
démocratiquement, à tour de rôle au moment du dessert avant de repartir
travailler dans nos bibliothèques. Notre activité a réellement commencé en 1994
autour de l'exposition 1, 2, 3… Komagata. Nous voulions faire
connaître les artistes qui créént des livres, des jeux et du mobilier pour les
enfants et qui nous paraissent essentiels. La structure associative plus souple
que les institutions dans lesquelles nous travaillions nous a permis de mener en
toute liberté nos projets d’exposition. En cherchant des partenaires, nous avons
été rejointes par une collègue de Villeurbanne qui a soutenu, finançé et
accueilli la première exposition consacrée à un graphiste japonais totalement
inconnu en France : Katsumi Komagata.
Dans quelle condition avec-vous édité
votre première publication ?
Notre première vraie expérience
éditoriale est née à partir de l’exposition La Maison des Trois ours :
hommage à Rojankovsky. Les personnes que nous avions contactées pour
l’élaboration de l’exposition - la fille de l’artiste, les fils du Père Castor et
de Golden Books qui avaient connus Rojan ainsi que des créateurs actuels
influencés par ses images, Philippe Dumas, Steven Guarnaccia, Christian lacroix,
Elizabeth Garrouste - avaient écrits des textes qui ont servi à l’élaboration du
catalogue. Flammarion (éditeur des premiers Rojankovsky qui figurent au
catalogue depuis les débuts du Père Castor) n’était plus intéressé. Cependant
la directrice artistique qui avait vu le projet passer nous a encouragé et
soutenu en collaborant à la maquette et en suivant la fabrication et cet album.
Rojan a jeté les fondations de notre « Maison » éditoriale, plaçé sous le signe
de la « cabane».
Quelle est votre politique éditoriale
?
Nous avons très peu d'artistes à notre catalogue.
Notre but est
avant tout de faire connaître l’œuvre de quelques auteurs fondamentaux qui ont
réalisé des ouvrages pour les enfants mais qui ne sont pas obligatoirement des
illustrateurs. Une personne comme Munari a réalisé 170 livres mais a aussi fait
des ateliers pour enfants et écrit de nombreux ouvrages théoriques. Nous avons «
initié » l’édition en français de certains titres comme Dans la nuit
sombre et le Brouillard de Milan. Komagata est graphiste et vient
plutôt des milieux du stylisme et de la mode pour lesquels il créait des lignes
graphiques avant de se consacrer exclusivement aux livres pour enfants. Remy
Charlip est un danseur tout autant qu’un illustrateur.
Notre propos est de
faire tomber des barrières - entre les générations, les champs de la création -
de transmettre et de provoquer des expériences transversales.
Prenons
l’exemple de Paul Cox, qui a réalisé notre logo ; le seul ouvrage que nous ayons
fait avec lui était un hommage à Munari. Bien qu’ayant de nombreux points en
commun avec notre champ d’action, il s’adresse à un public un peu plus mûr - voire cultivé - et bénéficie déjà d’une reconnaissance d’ailleurs amplement
justifiée. Il n’a pas besoin de nous pour être connu et reconnu ! Mais Le Livre
le plus long en 4 pages et quadrichronie comme le sous-titre le mentionne,
indique les accointances que nous recherchons et cherchons à transmettre.
La
performance "Reading Dance" de Remy Charlip que nous avons organisée dans l’école
Estienne est aussi un bel exemple de liaison entre le livre, le corps la musique
qui fait réfléchir concrétement sur l’espace et notre relation à l’espace
physique et mental – et avec peu de moyens ! -
Peut-on parler de livres d’artistes
?
Remy Charlip a fait ce livre en 1957. Son ami John Cage
conçoit lui aussi un album pour enfants un peu plus tardivement. On peut
évidemment les rattacher au mouvement d’art conceptuel qui se développait aux
Etats–Unis à cette époque mais le vocabulaire induit actuellement des
interprétations différentes et souvent même des contresens. Il serait
contradictoire d’enfermer à nouveau dans une case ces artistes qui ne se sont
jamais réclamés d’une école mais ont toujours préservé leur liberté de penser,
d’agir et de créer y compris pour et avec les enfants.
Nous préférons
l’expression « livres artistiques » mais disons que les Trois Ourses
s’intéressent aux liens entre les enfants, les livres et l’art.
Au tout début des années 1980 j’avais aussi
participé au mouvement de Tony Lainé, René
Diatkine et Marie Bonnafé (ACCES, Actions
Culturelles Contre les Exclusions et les Ségrégations).
La première activité a été menée
avec un sculpteur Jean-Lou Cornilleau qui avait rempli de feuilles
d’automne l’espace d’exposition de la
bibliothèque municipale où je travaillais. Est-ce pour
cette raison que nous nous sommes intéressés par la suite
aux travaux de Louise-Marie Cumont ou de Milos Cvach qui sont tous deux
sculpteur et pensent l’espace du livre autrement qu’un
«illustrateur» ? Les tout-petits ont un rapport
très sensoriel et physique aux livres, cette approche nous
oblige à considérer le livre en tant qu’objet
matériel et dans son épaisseur, sa profondeur à
une époque charnière où l’écran
introduit texte et image dans des perspectives et dimensions
virtuelles.
Munari disait « il faut créer la surprise si on veut qu’un
enfant revienne vers le livre » mais une surprise réelle, profonde, durable sur
laquelle on revient et que l’on a envie de partager. Regardez le bonheur des
enfants à qui l’on a montré Look again de Tana Hoban, une photographe
qui a passé toute sa vie à créer des livres pour enfants et dont les quelques 80
ouvrages posent les bases d’une vraie grammaire visuelle.
Dans cette époque
de surconsommation il est bon de promouvoir des ouvrages qui malgré – ou grâce
à - leur dépouillement peuvent être lus longtemps. La simplicité demande du temps
aussi bien aux créateurs qu’aux lecteurs. Rien n’est plus complexe que la
simplicité.
Le but, au fond, est de laisser une place fondamentale à
l’imagination. C’est dans ce sens que nous avons posé de manière un peu radicale
(mais qui fonctionne parfaitement avec les enfants) notre volonté d’« ouvrir »
l’imaginaire avec la publication de On dirait qu’il neige de Remy
Charlip puis du Petit chaperon blanc de Munari (réunis sous la forme
de Boule de neige depuis noël 2004). C’est aussi une dimension que l’on
retrouve dans la série de livres artistiques tactiles pour les non-voyants et
les voyants conçue par Sophie Curtil, et particulièrement forte dans le premier
titre qu’elle a elle- même créé Ali ou Léo ?
Ce projet a reçu le
soutien crucial de la Mission des Arts à l’École pour la phase d’élaboration et
du Centre national du livre pour le travail de partenariat éditorial entre Les
Doigts Qui Rêvent, Les Trois Ourses, puis par la suite One Stroke et le Centre
Pompidou qui nous a rejoint pour le 3ème titre Feuilles – tiré à 1000
exemplaires et 500 en anglais.
Vous privilégiez les tirages limités ;
est-ce dû à un choix éditorial ou à une contrainte économique ?
Pour
certains livres fabriqués partiellemnt à la main, l’augmentation du tirage a
très peu d’incidence sur le coût final. C’est le cas d’Ali ou Léo ?
ou des livres en tissu de Ianna Andréadis et de Louise-Marie Cumont. Non, il y a
plusieurs autres raisons :
- la vérification de chaque ouvrage, avant diffusion, pour
être sûr d’avoir un minimum de ratés. Komagata
lui-même tire à très peu d’exemplaires pour
les mêmes raisons, ses tentatives d’éditions aux
Etats-Unis à plus grande échelle ayant
jusqu’à présent été très
négatives à cet égard.
- Le stockage
- L’avance d’argent…
De fait, nos livres sont
rapidement épuisés ; nous avons pratiquement vendu nos 300 exemplaires de
Feuilles entre septembre et février… Les acheteurs sont principalement
des bibliothèques, mais pas seulement ; notre présence dans des manifestations
comme le Salon du livre de Montreuil, la Foire Internationale de Bologne, le
SAGA quand il existait, la foire du livre d’artiste de Saint-Yrieix quand ils
nous invitaient… a élargi notre public.
Les contraintes économiques que nous subissons et
qui réfreignent notre envie de voir éditer et rééditer certains livres méconnus
en France ont parfois du bon : elles nous ont amené à signer une collaboration
avec les éditions MeMo dont nous apprécions le travail – tant dans la qualité de
fabrication que dans l’originalité des publications. Le premier ouvrage de La
Collection des Trois Ourses est sorti à l’occasion du Salon du livre de Paris en
mars dernier. Quand la poèsie jonglait avec l’image regroupe 4 titres
signés de Samuel Marchak et Vladimir Lebedev parus en 1925 et jamais publiés en
France. Il nous aurait été impossible de soutenir financièrement ce projet et d’en
assurer la prouesse technique.
Nous avons par contre accompagné la sortie du
livre d’une exposition "Place à la glace" à la bibliothèque Elsa Triolet
de Pantin qui a permis de mieux comprendre l’importance d’un Lebedev inconnu du
public français mais qui a pourtant influencé directement toute l’imagerie du
Père Castor par l’intermédiaire des immigrés russes de la fin des années 20.
L’exposition a été aussi l’occasion d’éditer un coloriage de Lebedev Colorie
et dessine réaffirmant notre propos autour de l’art du livre et des
enfants
Que faites-vous des illustrateurs qui
viennent vous proposer un projet intéressant ?
Nous les orientons
vers d’autres structures qui sont susceptibles de pouvoir les publier.
Le
problème aujourd’hui c’est que la spécificité de chaque maison d’édition a un
peu disparu ; toutes les pistes se brouillent, les auteurs passent plus
facilement d’une maison à une autre, la petite édition est elle aussi assez
confuse…
les Trois Ourses distribuent ponctuellement des catalogues ou des
productions tirées en petites quantités, comme celui de Louise-Marie Cumont qui
permet de voir son travail sur papier pour un prix modeste. Du coup, nous avons
le projet de faire éditer ses œuvres en livres papier. En effet, ses livres
objets en tissu sont des pièces uniques entièrement faites à la main, forcément
onéreuses, souvent réalisées d’après commande pour des bibliothèques
spécialisées. De plus, les éditeurs demandent du texte, or ses ouvrages sont
strictement visuels. C’est difficile de faire passer le concept de « livres
artistiques » ; en ce sens, c’est peut-être Paul Cox qui fera avancer les
choses…On peut aussi espérer que des gens comme Douzou fassent école, et que la
production de livres d’images destinés à un plus vaste public prenne de
l’ampleur.
Vous faites aussi de la formation
?
Oui, c’est le troisième volet de notre activité qui accompagne les
expositions et l’édition. Les Trois Ourses présentent les livres de Katsumi
Komagata, l’œuvre de Bruno Munari, les créations en tissu de Louise-Marie Cumont
ou encore la Collection des Trois Ourses, c’est à dire tous les artistes qui font
partie du catalogue. Ces journées, demi-journées ou stage donnent une
information et font réfléchir les professionnels des bibliothèques sur la
constitution de fonds spécifique, sur la présentation, l’aménagement, les
relations des lecteurs, la transmission d’un patrimoine.
Pour les formations
en art plastique nous faisons appel à Sophie Curtil ( une personne rare qui
allie à son métier de peintre sa longue expérience d’animations à l’atelier des
enfants et sa réflexion sur le livre d’art à partir de "l’Art en jeu", de "Kitadi"
et plus récemment des livres artistiques tactiles). Nous lui demandons de former
des équipes de bibliothécaires et d’étudiants en arts plastiques autour de
l’œuvre de Komagata, afin qu’ils puissent faire des ateliers avec les enfants
par la suite, créant une dynamique qui se prolonge au-delà du temps de
l’exposition ou simplement pour mieux comprendre de quoi il s’agit quand on
aborde le domaine des arts plastiques Dans le même esprit, pour accompagner la
circulation de dix-sept valises Komagata dans quarante hôpitaux parisiens en
1996 nous avions travaillé avec des écoles d’art : Estienne, Maximilien Vox,
Corvisart. Nous recevons dans le même esprit de collaboration les étudiants de
la Parsons School et avec qui nous souhaitons développer un partenariat de
formation continue.
En 2005 nous proposons 3 jours de stage sur les Livres
artistiques tactiles en partenariat avec le service éducatif du Centre Pompidou
et l’école d’art de Blois. Le prochain a lieu les 4,5,6 juillet 2005.
source : Rubrique DE VISU "Art et littérature de jeunesse" du site du CRDP de l'académie de Créteil
http://www.crdp.ac-creteil.fr/artecole/de-visu/art-litterature_de_jeunesse/3ourses.htm
Retrouvez les Trois Ourses sur leur site internet
:
http://troisourses.online.fr
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